Un peuple entier, debout, contre les militaires putschistes. Madrid, Barcelone, juillet 1936 ? Certes. Mais aujourd’hui : Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Ouahigouya, et toutes les localités, jusqu’aux plus petites, du Burkina Faso, se sont levées toutes ensemble et spontanément, simultanément, quand le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP), cœur de l’ancien régime, conduit par le général Gilbert Diendéré, a annoncé qu’il prenait le pouvoir et «suspendait la transition» (la transition démocratique censée se dérouler au Burkina), c’est-à-dire entendait stopper la révolution ouverte par la chute de Blaise Compaoré, son ancien mentor, président qui voulait l’être à vie, chassé fin octobre 2014.

La « transition » pédalait, mais la perspective d’élections libres donnait des possibilités d’organisation et d’expression aux forces populaires, représentées par une multitude de comités, associations de quartier, associations féminines, syndicats, réseaux comme le « Balai citoyen » constitué lors de la chute de Compaoré. La «transition» inévitablement pédalait car les graves questions sociales et économiques du Burkina sont les questions auxquelles l’Afrique, auxquelles le monde, sont confrontés, et sa jeunesse et ses anciens le savent qui considèrent la révolution burkinabé comme un message pour toute l’Afrique, montrant l’alternative aux guerres impérialistes et prétendument «tribales» et autres barbaries islamistes ou chrétiennes qui se sont abattues sur l’Afrique centrale puis sur le Centrafrique et le Sud Soudan.

Une alternative qui commence par chasser les présidents à vie, les dictateurs corrompus et autres, ce que la jeunesse et la population burkinabé affirment clairement en exigeant que plus jamais des militaires n’exercent le pouvoir. Cela, tout en arborant le visage devenu un drapeau d’un militaire anti-impérialiste, Sankara, fidèles ainsi à sa mémoire en allant plus loin, en voulant prendre en main leur propre émancipation.

Le principal raté de la «transition» c’est justement que la révolution d’octobre 2014 n’est pas allée jusqu’au bout dans la destruction et le jugement de toutes les institutions de l’ancien régime, dont le RSP était le cœur : le RSP était toujours là, et c’est donc lui qui, dans la soirée du mercredi 16 septembre, a «pris le pouvoir», la veille du jour où l’autopsie de Thomas Sankara risquait d’apporter des précisions sur ses assassins – tous pensent à Diendéré, justement. Diendéré faisait partie de l’équipe qui a arrêté Sankara, et beaucoup murmurent qu’il aurait lui-même tiré le coup mortel.

Il s’agissait donc d’en finir avec ce mouvement populaire, national, social, porteur de l’espoir de libération de tout un continent.

Mais l’événement, ce soir du 16 septembre, le vrai événement, ce ne fut pas le coup d’État. Ce fut la levée en masse de tout le peuple. Partout. Aussitôt le couvre-feu proclamé, aussitôt le couvre-feu était moqué ouvertement, par toute la jeunesse sur ses mobylettes et ses vélos. Les mobylettes sont le premier symbole de la contre-attaque populaire, elles portent la jeunesse qui veut un avenir et qui veut la démocratie. Miliciens, nervis et provocateurs en veulent aux mobylettes et cherchent à s’en emparer pour les brûler. Après les mobylettes, le deuxième symbole, ce sont les spatules. Les spatules sont brandies par des milliers de femmes qui entourent les casernes et, en tant que mères, s’adressent aux jeunes soldats : « passez dans le camp du peuple ! » Avec un sûr instinct révolutionnaire, dans tout le pays, la jeunesse sur ses mobylettes et les femmes brandissant leurs spatules marchent sur les casernes et les gendarmeries.

L’armée du coup «n’a pas bougé», des rumeurs faisant état d’un ralliement au peuple ou au moins d’une neutralité bienveillante des soldats, à Bobo-Dioulasso. Le RSP, environ 1200 hommes, est isolé. Il tient les grands axes et les principaux carrefours de Ouaga, et tout le reste est debout autour de lui.

Voila pourquoi les grands de ce monde, à commencer par l’impérialisme français dont le «nouvel homme fort du Burkina», comme se sont empressés de dire certains médias, est le «partenaire» n°1 dans ce pays (il l’était déjà avant son golpe), sont d’une extrême prudence et n’ont pas reconnu immédiatement son régime, tentant des «médiations».

D’une part, les miliciens ont tiré, tuant, non 4 ou 5 victimes comme on le lit, mais des dizaines, sans compter les malades et les femmes enceintes qui n’ont pu se rendre aux dispensaires. Poursuivre dans cette voie, c’est aller au massacre et peut-être perdre, car le peuple est mille fois plus nombreux que les miliciens.

D’autre part, ils «émettent des signaux d’apaisement» comme disent les mêmes médias, rouvrant les frontières, prétendant que des élections auront bien lieu, libérant tout en gardant la main sur tel ou tel membre du gouvernement de transition qu’ils avaient arrêtés le premier soir, accumulant donc les signes d’hésitation et de panique, cependant que les émissaires de la CEDEAO (Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest, une instance fort peu « économique » en vérité, vouée à ce type d’exercices) cherchent une «porte de sortie».

Qu’est-ce à dire ? Pour le peuple burkinabé, plus aucune «porte de sortie» n’est acceptable avec un militaire quel qu’il soit au pouvoir. Pour le peuple burkinabé, son droit à voter à tous les niveaux pour décider lui-même de ses lois et de son destin est imprescriptible. Il ne le marchandera pas. Il montre la voie à tous ses frères d’Afrique.

En France nous avons le devoir de faire connaître ce qui se passe réellement au Burkina Faso et dans toutes les anciennes colonies françaises. Croire qu’il s’agit de «turbulences africaines», c’est de l’arriération provinciale ! Il s’agit de la révolution, il s’agit de nous, il s’agit de l’avenir.

Dernière minute, dimanche à 14h. Les putschistes reculent et concèdent que des élections auront bien lieu, etc. Mais les militaires du RSP ayant, à juste titre, peur de la justice populaire sont d’autant plus dangereux. La manifestation, ce matin place de la Nation à Ouagadougou, n’a pu avoir lieu, la jeunesse s’est portée devant l’hôtel Laica où le RSP a attaqué, manquant atteindre les ambassadeurs de France et des États-Unis, se heurtant aux manifestants et à la gendarmerie ! Mot d’ordre populaire : vigilance jusqu’au bout, justice populaire !