A lire les médias français, qui ont surpassé les médias madrilènes dans le registre hostile à l’auto-détermination des peuples, la palme revenant au Monde, tous les arguments auront été bons pour nier la réalité : le scrutin régional catalan du 21 décembre est une claque à Rajoy, une claque au roi, une claque à toutes les forces politiques qui défendent l’ordre post-franquiste instauré en 1978, et parmi elles la V° République française, son président, son émissaire officieux M. Valls, et la supposée Union Européenne.

Il convient d’abord de ne jamais oublier qu’il ne s’agissait pas d’élections libres, mais, pour la première fois dans l’UE justement, d’élections sous la contrainte, la menace, l’emprisonnement d’une partie des dirigeants politiques du pays et l’exil d’une autre partie. Après la Crimée, la Catalogne ? Cela n’a pas marché et c’est là une victoire de la démocratie.

L’autre circonstance défavorable à l’expression de l’aspiration nationale et démocratique catalane provenait des variations, hésitations, peurs, de leurs propres partis nationaux, lâchés par le grand capital barcelonais qui s’est associé à la campagne de pression économique menaçant de ruine le pays. Après avoir franchi à reculons, mais après l’avoir franchi, le pas de la proclamation de l’indépendance, les ambiguïtés, reculades, invitations au « dialogue » avec un État monarchique post-franquiste qui, lui, n’a rien manifesté d’autre que la propension à la manière forte, n’ont pas cessé. Et malgré tout les trois formations indépendantistes – le parti bourgeois JxCAT, le parti républicain historique ERC, la gauche radicale indépendantiste CUP – ont retrouvé et même légèrement amplifié leur majorité en sièges, d’une légitimité démocratique incontournable et incontestable dans ces circonstances.

« Oui mais ils ne font que 47,6% et donc les anti-indépendantistes sont majoritaires », susurre-t-on. C’est faux, car s’il est incontestable que les voix du JxCAT, de l’ERC et de la CUP sont indépendantistes et le sont même plus qu’avant, s’appuyant sur le référendum du 1° octobre et la proclamation de la République, il est par contre hautement contestable que tous les suffrages du PS catalan, près de 14% – ce parti frôlait autrefois les 40% – et de l’alliance formée par la maire de Barcelone et ce qui reste de Podemos (Podem) après la purge menée par les petits chefs madrilènes du « peuple en construction », soit 7,45%, soient toutes « anti-indépendantistes ». De plus, une partie des électeurs indépendantistes n’a pas voté en raison du caractère antidémocratique et illégitime du scrutin, imposé par la force (la CUP était initialement pour le boycott). Ajoutons que tous les distingués commentateurs nous expliquaient que la hausse de la participation devait défavoriser les indépendantistes, le peuple profond étant supposé ne pas vouloir de l’indépendance. Or, avec une participation record à 82%, leur score s’est maintenu.

Le bilan est clair : on peut tourner et retourner, truquer et camoufler, autant qu’on veut, c’est à nouveau l’aspiration à l’indépendance qui a gagné. Cette aspiration n’a rien à voir avec une « poussée xénophobe » visant à se séparer de tout ce qui parlerait espagnol (la seconde langue des catalans), et tout à voir avec le mécontentement social et la soif de liberté qui se sont exprimés dans l’État espagnol depuis 2011, et que Podemos a détourné et maintenant ouvertement rejeté en soutenant de fait l’article 155. Malgré Podemos, dont les chefs sont, avec Rajoy et le roi, les grands perdants du scrutin, l’aspiration républicaine, libertaire, sociale et émancipatrice confirme, par la Catalogne, qu’elle ne veut plus de la monarchie post-franquiste.

Celle-ci a fait son propre choix, qui était d’ailleurs celui du Monde français dés la soirée d’hier : les vainqueurs seraient Ciudadanos et sa « nouvelle » porte-parole, la « révélation de la campagne », Inés Arrimadas, déjà comparée à Emmanuel Macron ! Le PP de Rajoy est écrasé. Ciutadans-Ciudadanos a pris sa place comme représentation politique de défense de l’ordre établi et Rajoy, en maintenant l’exil et la prison pour les dirigeants élus, a déjà fait savoir qu’elle devrait être au pouvoir à Barcelone, avec 25,37% des voix ! Tous les bien pensants vont le répéter : c’est elle qui aurait gagné. Étape de plus dans le mépris affiché de la démocratie …

La démocratie s’est exprimée à répétition, elle exige la République catalane, la République espagnole, le départ de Rajoy, du roi, de l’article 155. Seuls les atermoiements et bricolages des dirigeants indépendantistes, clairement portés par un mouvement plus fort et plus déterminé qu’eux-mêmes, pourraient l’empêcher de poursuivre sa marche en avant.

Il y a plus : à l’échelle européenne, l’UE qui a soutenu Rajoy ne trouve rien à redire à l’attribution des ministères de la Défense, des Affaires étrangères et de l’Intérieur à un parti fondé autrefois par les anciens nazis en Autriche. Elle « hausse le ton » contre la destruction menée ouvertement de l’ « indépendance de la justice » en Pologne, mais le rôle de la justice espagnole arrêtant les dirigeants élus catalans ne l’a pas gênée, et ce « haussement de ton » rencontre l’annonce faite par Orban, le premièr ministre de la « démocrature » hongroise, qu’il y mettra bon ordre s’il le faut. Mais n’est-ce pas la démocrature qui est en place en Espagne ? Et n’est-ce pas la même démocrature « à la Orban » qui se met en place en Autriche sous l’égide d’un autre « jeune premier », le chancelier Sebastian Kurz et, sous l’œil attendri des dirigeants bavarois de la CSU en plein stand bye d’Angela Merkel suite aux dernières élections allemandes ?

Dans ce contexte, le rapprochement entre Mme Arrimadas et M. Macron en dit peut-être plus qu’il ne le voudrait. Minoritaire, on voudrait l’imposer de force aux Catalans. Il est vrai que son score est légèrement supérieur à celui d’E. Macron au premier tour de la présidentielle française … L’une comme l’autre incarneraient une « modernité » qui trancherait avec le côté vieux jeu de leurs alliés, les Rajoy et autres Merkel, mais rejoint celle d’un Sebastian Kurz : n’est-ce pas Macron, avec son ministre de l’Intérieur le social-triste Collomb, qui met en place le tri des hébergés d’urgence à la veille de Noël ?

La démocrature des uns et la démocrature des autres en arrivent très, très vite à se ressembler. En Europe, nous sommes tous des Catalans : notre démocratie passera par leur départ à tous.

22-12-2017.